Bonne nouvelle from Paris

Un dhikri pour nos morts la rage entre les dents de Soeuf Elbadawi, ouvrage paru aux éditions Vents d’Ailleurs, remporte le Prix littéraire des lycéens, apprentis et stagiaires de la formation professionnelle en Ile de France. La remise de prix a eu lieu ce vendredi 21 mars 2014, au Salon du livre, à Paris.

Huit auteurs ont été consacrés par l’édition 2013/2014 de ce prix, sur quarante. Aurélien Manya, Emmanuel Lepage, Emilie Frèche, Yves Ravey, Alban Lefranc, Hélène Gestern, Jacques Rebotier ont ainsi vu leurs derniers livres sélectionnés, lus, discutés par l’ensemble des académies de la région Ile de France. A l’instar de Soeuf Elbadawi, qui, lui, a vu son dernier texte être consacré par les lycées et CFA de l’académie de Paris. Une opération portée par les équipes de la Maison des écrivains à Paris, soutenue par un réseau de bibliothécaires, de libraires et de professeurs. Cette année, ils étaient 1200 élèves à voter pour la région entière, à partir d’une sélection de quarante ouvrages, dont le contenu rappelle que les lycéens peuvent être des lecteurs exigeants, complètement à l’abri du marché et des tendances à la mode.

Ce sont les lycéens eux-mêmes qui sont venus remettre le prix, aux auteurs consacrés, en présence de Julien Dray, vice-président chargé de la Culture au Conseil régional d’Ile de France, et de Henriette Zoughrebi, vice-présidente chargée des lycées et des politiques éducatives, au même Conseil régional. Un dhikri pour nos morts la rage entre les dents avait été adapté au théâtre il y a deux ans par son auteur, joué aux Comores, à la Réunion et en France. Soeuf Elbadawi s’en est aussi inspiré pour nourrir sa dernière proposition scénique, Obsession de lune idumbio IV, programmée par les Francophonies en Limousin, la Maison de l’Outre-Mer à Nantes et le Festival comoriens des arts contemporains (FACC) à Moroni, dans le cadre de Nouvelles Zébrures, d’Ouvrez les Guillemets (Bottom Théâtre) et de Nantes en francophonie, en mars 2014, et d’une installation intitulée Pays de lune, en mai 2014.

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Il va sans dire que la consécration de ce livre est une occasion pour Soeuf Elbadawi de redire qu’entre Anjouan et Mayotte, aux Comores, se meurent des milliers d’innocents, à cause d’un visa inique., surnommé « Visa Balladur », du nom du gouvernement français qui l’a initié en 1994. Ce Visa Balladur est l’une des conséquences les plus tragiques du processus inachevé de décolonisation de l’archipel. Vingt deux résolutions votées par l’Onu condamnent la présence française dans une partie du territoire des Comores. Le droit international parle d’occupation illégale de l’île de Mayotte et de viol d’intégrité territoriale dans un pays souverain. Jusqu’en 1994, la France, respectant l’histoire des Comores et l’étroitesse des liens familiaux entre les habitants de l’archipel, n’interdisait pas la circulation des citoyens entre Mayotte et les trois autres îles de l’archipel. En instaurant le Visa Balladur, elle est arrivée à transformer les Comoriens en « migrants » et en « clandestins », désormais traquées comme des bêtes en mer par une police des frontières, sur « la terre de leurs aïeux », raconte le livre.

Le visa Balladur divise les Comores « en deux rivages ennemis sur un même territoire de vie ».  Mayotte française contre l’Union des Comores. Deux états dans un même pays, avec des conséquences tragiques. Lors du naufrage des 300 de Lampedusa, en octobre 2013, Noël Mamère, député français de Gironde, écrivait ceci : « Les larmes de crocodile et la défausse compassionnelle des dirigeants européens ne peuvent masquer la réalité crue et ignoble. Ces 300 morts accusent l’Europe de non-assistance à personnes en danger. Au-delà de la honte, si bien exprimée par le pape François, c’est un crime qui ne dit pas son nom. Pendant que nous assistons à l’insoutenable sur nos écrans de télévision, un même crime se répète chaque jour aux Comores, dans le silence le plus abject. La France de Hollande, barricadée à Mayotte, bafoue le droit international, en continuant d’appliquer dans toute sa dureté les règles découlant du « visa Balladur ». Depuis 1994, plus de 8 000 morts ont ainsi été dénombrés dans le bras de mer de 70 km de large qui sépare l’île d’Anjouan de Mayotte ».

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Récit poétique, interrogeant cette histoire en profondeur, le texte de Soeuf Elbadawi, rend surtout hommage aux victimes de ce Visa Balladur. « La plus grosse tragédie qu’ait connu mon peuple à ce jour. A Moroni, nous parlons de près de 20.000 morts, soit près de 2% de la population de l’archipel, qui s’en va sous l’eau. Des morts dont personne, même les autorités comoriennes, ne souhaitent parler. Des cadavres qui embarrassent tout un chacun » confie l’auteur. En consacrant son livre, les lycées et CFA de la région Ile de France prouvent une fois de plus que la poésie ou le trafic des imaginaires, comme le dit Soeuf Elbadawi, reste d’une puissance indiscutable, dès lors qu’il s’agit de se raconter à l’autre, et de lui tendre la main. « Ces jeunes nous montrent que le dialogue est encore possible entre nos deux rives, et que la France n’est pas toujours ce qu’elle veut bien laisser entrevoir d’elle, sous nos tropiques. Ils ont fait « leur » cette histoire d’un personnage ayant perdu son cousin en mer à cause du Visa Balladur, et, qui voit son pays, de jour en jour, tomber, s’effondrer. Je leur dis encore merci, car ils m’indiquent, par leur choix, que j’ai eu raison de vouloir partager ce récit, et que, tous, nous pouvons nous indigner contre le silence orchestré autour de cette tragédie. Je dis merci aussi à mon éditeur pour sa confiance » résume Soeuf Elbadawi.

Chronique de Moha

1. Cliquer ici pour parcourir un article du journal Le Parisien, relatant la remise de prix. Egalement à lire (dans le même journal) l’avis d’une jeune lycéenne sur l’auteur primé.

2. Obsessions de lune idumbio IV, lecture scénique faite d’après Un dhikri pour nos morts la rage entre les dents (Vents d’Ailleurs) sera à Nantes, ce week-end, dans une programmation de la Maison de l’Outre-Mer pour « Nantes en francophonie« . Elle sera à l’affiche du FACC à Moroni en mai prochain, dans le cadre d’une installation de Soeuf Elbadawi, intitulée « Pays de lune« . Soeuf Elbadawi sera aussi au programme du festival Jamais lu à Montréal en mai.